Dans le livret, Jean Renault écrit : "L'association de la flûte et de la harpe a produit un répertoire remarquable, un ensemble ouvert, donc prometteur et fécond. Le lien instrumental reste un fil conducteur puisqu'il a permis, au fil du temps, de faire émerger de nombreuses pistes créatives issues de traditions très diverses. C'est dans ce contexte que s'inscrit ce premier album qui musarde au jardin du siècle dernier. Seules quelques œuvres marquantes de cette période ont été enregistrées à ce jour, et ce de manière non systématique. Revisiter ces œuvres, seules ou dans un contexte révélateur les unes des autres, rend justice à une modernité aux multiples facettes".
La flûte et la harpe sont deux des instruments de musique les plus anciens de l'histoire de l'humanité. Des harpes ont été représentées sur des peintures sumériennes et égyptiennes datant de 3000 ans avant J.-C. Une flûte faite d'un os de mammouth, trouvée dans les Alpes allemandes, est supposée avoir entre 30 000 et 37 000 ans. Il est probable que les deux instruments aient été joués ensemble depuis au moins 5 000 ans. Mais combien de compositions originales sont connues pour cette combinaison d'instruments ? Le concerto K 299 de Mozart est la réponse évidente, mais il comprend également un orchestre. L'idyllique lettre Tågen (Le brouillard se lève) de Carl Nielsen est cependant une pièce populaire, du moins en Scandinavie. Elle fait partie de la musique de scène de la pièce patriotique Moderen (La Mère) de Helge Rode, créée en 1921. Mais sinon, la plupart du temps, lorsque nous entendons de la musique pour flûte et harpe, il s'agit de transcriptions ou d'arrangements de divers originaux. L'ambition de la flûtiste Odile Renault et de la harpiste Élodie Reibaud de faire revivre le répertoire composé pour cette formation instrumentale est tout à fait louable.
Elles ont commencé par cinq compositeurs actifs au cours du XXe siècle. Le plus ancien est le Français Désiré-Émile Inghelbrecht, dont la Sonatine est presque contemporaine de la lettre Tågen de Nielsen, mentionnée plus haut. Inghelbrecht est plus connu en tant que chef d'orchestre. Il a fondé l'Orchestre national de France en 1934, a été le chef permanent de l'Orchestre Pasdeloup et a dirigé les orchestres de l'Opéra Comique, du Ballet de Suède et de l'Opéra d'Alger. Ami de Claude Debussy, ses enregistrements de l’intégrale des œuvres symphoniques de ce dernier ont fait date. Ses propres compositions ont également été influencées par l'impressionnisme de Debussy. Le premier mouvement, qui est aussi le plus long, commence de manière douce et mélodieuse, une véritable idylle. Puis Inghelbrecht fait apparaître des accords plus complexes qui corsent temporairement l’atmosphère avant de se dissiper. Le mouvement s'achève alors dans une harmonie parfaite. La Sicilienne est également lumineuse alors que dans les Rondes finales, le compositeur introduit plus de vigueur et de vivacité rythmique. Une belle pièce qui s'achève en onze minutes.
Lowell Liebermann, né à New York, a composé plusieurs œuvres pour flûte, dont la sonate pour flûte et piano est la plus enregistrée. Il a également composé un concerto pour flûte, harpe et orchestre, un concerto pour piccolo et un concerto pour flûte, tous enregistrés par James Galway. Sa musique est souvent polytonale, et cette sonate de 1996 ne fait pas exception. Elle se compose d'un seul mouvement continu, commençant par un doux Grave et évoluant progressivement vers un Allegro avec quelques cantilènes virtuoses, avant de revenir à un final plus lent. Même si la polytonalité peut étonner certaines oreilles, la sonate est essentiellement contemplative.
Avec le compositeur et chef d'orchestre israélien Ami Maayani, nous entrons dans la sphère musicale du Moyen-Orient. Ses deux Arabesques, la première pour harpe solo et la seconde, entendue ici, "sont basées sur le maqam arabe". Les maqamat sont des modes mélodiques utilisés dans la musique traditionnelle improvisée du Moyen-Orient. Chaque maqam est associé à une couleur ou à une "âme". Maayani a utilisé la forme rythmique traditionnelle, avec son mètre 10/8 (samai thaqil) divisé en 3-2-2-3, dans ces deux arabesques". Le titre évoque des ornements décoratifs. Le flûtiste alterne des passages faisant preuve d'une virtuosité de premier ordre avec des moments de confrontations plus sombres avec la harpe. Une ouverture lente, une section médiane rapide et intense puis un Modéré répétitif en guise de conclusion. Un tour de force fascinant, d'un orientalisme authentique.
Ned Rorem, né de parents norvégiens, était le doyen des compositeurs américains lorsqu'il est décédé le 18 novembre 2022 à l'âge de 99 ans. Il est surtout connu pour ses nombreuses mélodies. "Je conçois toute ma musique vocalement. Quel que soit l’instrument pour lequel elle est écrite - tuba, tambourin ou cloches tubulaires - c'est toujours le chanteur en moi qui essaie de s'exprimer". Dans le livre d'heures, les huit parties "correspondent aux heures canoniques qui divisaient la journée en prières : Matines, Laudes, Prime, Terce, Sexto, None, Vêpres et Complies". On y trouve des références au chant grégorien et dans les Matines comme dans les Complies, nous entendons onze carillons joués par la harpe. Tout se tient, les Complies étant calquées sur les Matines, mais un ton plus bas et écrites en inversion. Une autre pièce fascinante, miniaturisée par la brièveté de ses huit mouvements, mais grandiose par son plan d'ensemble.
Miniaturisés sont également les trois fragments de Lutoslawski, extraits de la musique qu'il a composée au début des années 1950 pour le théâtre de la Radio polonaise, dont la majeure partie est malheureusement perdue. Ces trois pièces, d'une durée bien inférieure à deux minutes, sont simples et sans prétention, mais possèdent un charme certain. Dans les notes du livret, Odile Renault et Élodie Reibaud établissent un parallèle avec la pièce Syrinx de Debussy pour flûte seule, ce qui semble plausible. Le premier fragment, Magia, fait référence aux magiciennes, aux sorcières, créatures sans doute similaires à celles apparaissant dans Le villi, premier opéra de Puccini. Le deuxième fragment - et évidemment aussi le troisième - sont tirés d'Ulysse à Ithaque, un drame radiophonique de Jan Parandowski. La troisième pièce est une conclusion vigoureuse et énergique de ce délicieux récital de musique hors des sentiers battus qui j'espère vraiment, attirera des auditeurs à l'esprit ouvert et pas seulement des amateurs de flûte et/ou de harpe. Souhaitons que les flûtistes et les harpistes adoptent certaines de ces œuvres et les ajoutent à leur répertoire de concert, les gardant ainsi vivantes. Oh, j'oubliais : le jeu est également délectable. Si ce n'était pas le cas, je ne me serais pas étendu sur ce sujet aussi longuement.