Dans le livret, Jean Renault écrit : "L'association de la flûte et de la harpe a produit un répertoire remarquable, un ensemble ouvert, donc prometteur et fécond. Le lien instrumental reste un fil conducteur puisqu'il a permis, au fil du temps, de faire émerger de nombreuses pistes créatives issues de traditions très diverses. C'est dans ce contexte que s'inscrit ce premier album qui musarde au jardin du siècle dernier. Seules quelques œuvres marquantes de cette période ont été enregistrées à ce jour, et ce de manière non systématique. Revisiter ces œuvres, seules ou dans un contexte révélateur les unes des autres, rend justice à une modernité aux multiples facettes".
La flûte et la harpe sont deux des instruments de musique les plus anciens de l'histoire de l'humanité. Des harpes ont été représentées sur des peintures sumériennes et égyptiennes datant de 3000 ans avant J.-C. Une flûte faite d'un os de mammouth, trouvée dans les Alpes allemandes, est supposée avoir entre 30 000 et 37 000 ans. Il est probable que les deux instruments aient été joués ensemble depuis au moins 5 000 ans. Mais combien de compositions originales sont connues pour cette combinaison d'instruments ? Le concerto K 299 de Mozart est la réponse évidente, mais il comprend également un orchestre. L'idyllique lettre Tågen (Le brouillard se lève) de Carl Nielsen est cependant une pièce populaire, du moins en Scandinavie. Elle fait partie de la musique de scène de la pièce patriotique Moderen (La Mère) de Helge Rode, créée en 1921. Mais sinon, la plupart du temps, lorsque nous entendons de la musique pour flûte et harpe, il s'agit de transcriptions ou d'arrangements de divers originaux. L'ambition de la flûtiste Odile Renault et de la harpiste Élodie Reibaud de faire revivre le répertoire composé pour cette formation instrumentale est tout à fait louable.
Elles ont commencé par cinq compositeurs actifs au cours du XXe siècle. Le plus ancien est le Français Désiré-Émile Inghelbrecht, dont la Sonatine est presque contemporaine de la lettre Tågen de Nielsen, mentionnée plus haut. Inghelbrecht est plus connu en tant que chef d'orchestre. Il a fondé l'Orchestre national de France en 1934, a été le chef permanent de l'Orchestre Pasdeloup et a dirigé les orchestres de l'Opéra Comique, du Ballet de Suède et de l'Opéra d'Alger. Ami de Claude Debussy, ses enregistrements de l’intégrale des œuvres symphoniques de ce dernier ont fait date. Ses propres compositions ont également été influencées par l'impressionnisme de Debussy. Le premier mouvement, qui est aussi le plus long, commence de manière douce et mélodieuse, une véritable idylle. Puis Inghelbrecht fait apparaître des accords plus complexes qui corsent temporairement l’atmosphère avant de se dissiper. Le mouvement s'achève alors dans une harmonie parfaite. La Sicilienne est également lumineuse alors que dans les Rondes finales, le compositeur introduit plus de vigueur et de vivacité rythmique. Une belle pièce qui s'achève en onze minutes.
Lowell Liebermann, né à New York, a composé plusieurs œuvres pour flûte, dont la sonate pour flûte et piano est la plus enregistrée. Il a également composé un concerto pour flûte, harpe et orchestre, un concerto pour piccolo et un concerto pour flûte, tous enregistrés par James Galway. Sa musique est souvent polytonale, et cette sonate de 1996 ne fait pas exception. Elle se compose d'un seul mouvement continu, commençant par un doux Grave et évoluant progressivement vers un Allegro avec quelques cantilènes virtuoses, avant de revenir à un final plus lent. Même si la polytonalité peut étonner certaines oreilles, la sonate est essentiellement contemplative.
Avec le compositeur et chef d'orchestre israélien Ami Maayani, nous entrons dans la sphère musicale du Moyen-Orient. Ses deux Arabesques, la première pour harpe solo et la seconde, entendue ici, "sont basées sur le maqam arabe". Les maqamat sont des modes mélodiques utilisés dans la musique traditionnelle improvisée du Moyen-Orient. Chaque maqam est associé à une couleur ou à une "âme". Maayani a utilisé la forme rythmique traditionnelle, avec son mètre 10/8 (samai thaqil) divisé en 3-2-2-3, dans ces deux arabesques". Le titre évoque des ornements décoratifs. Le flûtiste alterne des passages faisant preuve d'une virtuosité de premier ordre avec des moments de confrontations plus sombres avec la harpe. Une ouverture lente, une section médiane rapide et intense puis un Modéré répétitif en guise de conclusion. Un tour de force fascinant, d'un orientalisme authentique.
Ned Rorem, né de parents norvégiens, était le doyen des compositeurs américains lorsqu'il est décédé le 18 novembre 2022 à l'âge de 99 ans. Il est surtout connu pour ses nombreuses mélodies. "Je conçois toute ma musique vocalement. Quel que soit l’instrument pour lequel elle est écrite - tuba, tambourin ou cloches tubulaires - c'est toujours le chanteur en moi qui essaie de s'exprimer". Dans le livre d'heures, les huit parties "correspondent aux heures canoniques qui divisaient la journée en prières : Matines, Laudes, Prime, Terce, Sexto, None, Vêpres et Complies". On y trouve des références au chant grégorien et dans les Matines comme dans les Complies, nous entendons onze carillons joués par la harpe. Tout se tient, les Complies étant calquées sur les Matines, mais un ton plus bas et écrites en inversion. Une autre pièce fascinante, miniaturisée par la brièveté de ses huit mouvements, mais grandiose par son plan d'ensemble.
Miniaturisés sont également les trois fragments de Lutoslawski, extraits de la musique qu'il a composée au début des années 1950 pour le théâtre de la Radio polonaise, dont la majeure partie est malheureusement perdue. Ces trois pièces, d'une durée bien inférieure à deux minutes, sont simples et sans prétention, mais possèdent un charme certain. Dans les notes du livret, Odile Renault et Élodie Reibaud établissent un parallèle avec la pièce Syrinx de Debussy pour flûte seule, ce qui semble plausible. Le premier fragment, Magia, fait référence aux magiciennes, aux sorcières, créatures sans doute similaires à celles apparaissant dans Le villi, premier opéra de Puccini. Le deuxième fragment - et évidemment aussi le troisième - sont tirés d'Ulysse à Ithaque, un drame radiophonique de Jan Parandowski. La troisième pièce est une conclusion vigoureuse et énergique de ce délicieux récital de musique hors des sentiers battus qui j'espère vraiment, attirera des auditeurs à l'esprit ouvert et pas seulement des amateurs de flûte et/ou de harpe. Souhaitons que les flûtistes et les harpistes adoptent certaines de ces œuvres et les ajoutent à leur répertoire de concert, les gardant ainsi vivantes. Oh, j'oubliais : le jeu est également délectable. Si ce n'était pas le cas, je ne me serais pas étendu sur ce sujet aussi longuement.
La formation instrumentale flûte et harpe ainsi que le titre de ce CD "Perles musicales" évoquent bien à tort l'atmosphère charmante de la "Belle Epoque" française. En effet, ici, les oeuvres enregistrées datant toutes du XXe siècle, renvoient cette association d'idées au rang de pâle préjugé. Odile Renault, flûte et Elodie Reibaud, harpe, deux musiciennes exceptionnelles de l'ensemble Les Connivences Sonores" jouent parfaitement et interprètent les pièces d'une façon que vous ne pouvez imaginer autrement : sonore, sculptée, colorée et techniquement parfaite. Cela compte d'autant plus que les pièces sont stylistiquement complètement différentes.
La Sonatine d'Inghelbrecht (1919) rappelle les oeuvres du Debussy tardif, sans apparaître le moins du monde épigonal. Le Livre d'Heures (1971) de Ned Rorem relatant les huit moments de la journée liturgique, fait certainement penser au travail compositionnel de Stockhausen (bien que de façon plus conventionnelle). Les Trois fragments (1953) de Lutoslawski, riches en atmosphères mais malheureusement trop courts, ramènent aux débuts de ce compositeur, et de façon surprenante se situent dans le genre de la musique composée pour la radio. On y perçoit à nouveau l'influence de Debussy. La Sonate (1996) de Liebermann, en qualité de plus jeune, de même que le compositeur, laisse entendre une musique qui s'incline devant ce qui l'a précédée sans la rendre désuète ou surannée. Mais cela tient surtout à la fabuleuse présence du jeu de ces musiciennes.
Cet enregistrement évite intentionnellement et de façon rafraîchissante, l’habituel programme « bonbons » pour flûte et harpe. Cela ne sous-entend en aucune façon, que ce programme ne serait pas plaisant mais souligne le fait qu’il est de haute qualité tout en étant accessible et présenté de façon tout à fait fluide et élégante.
Ce programme s’ouvre avec l’œuvre la plus ancienne du CD, une Sonatine trompeusement chromatique de 1919 de Désiré Émile Inghelbrecht, compositeur français et ami proche de Debussy et probablement mieux connu comme chef d'orchestre (il a fondé l'Orchestre National de France en 1934). Cette œuvre en trois mouvements entraînante et chantante montre une influence évidente de son ami plus âgé et plus célèbre.
La Sonate en un seul mouvement de Lowell Liebermann est sombre, de structure rhapsodique et d'une beauté envoûtante.
Une atmosphère plutôt furtive imprègne l'Arabesque n° 2 pour flûte et harpe du regretté compositeur et chef d'orchestre israélien Amy Maayani. Les mélodies fluides employées sont influencées par le maqam arabe, style qui évoque instantanément un milieu géographique et culturel oriental.
L'œuvre de Ned Rorem de 1975 The Book of Hours , est comme son titre l'indique, un voyage musical en huit courts segments retraçant l'arc de la journée, de l'obscurité avant l'aube à la tombée de la nuit. "Quel que soit l’instrument pour lequel ma musique est écrite - tuba, tambourin de cloches tubulaires - c'est toujours le chanteur en moi qui s’exprime", écrit Rorem. Bien sûr, cette impulsion est beaucoup plus aisée à concrétiser avec une flûte et une harpe qu'avec un tambourin, et cette musique évocatrice est à la fois construite de manière concise et naturellement rythmée.
Le récital se termine par une œuvre relativement ancienne (1953) et simple de Witold Lutosławski, qui, si j'ai bien compris les notes de programme, a été écrite pour le Théâtre de la radio polonaise.
La flûtiste Odile Renault et la harpiste Elodie Reibaud ont nommé leur ensemble Les Connivences Sonores, un nom qui implique, selon mon français hésitant d'écolier, une sorte de curiosité et d’entente musicale. On dirait qu'elles s'amusent ici, même lorsque l'ambiance de la musique est sérieuse. Excellent son, compte tenu des défis de l'enregistrement de ce duo.
Le duo Les Connivences Sonores interprète cinq œuvres originales du XXe siècle pour flûte et harpe, composées entre 1919 et 1996. Les compositeurs et leurs œuvres couvrent ainsi un large éventail de pays et de styles, allant de l'impressionnisme français et de la musique du Proche-Orient à l'illustration du Livre d'heures. Chostakovitch y est également mentionné musicalement.
Depuis 2014, la flûtiste Odile Renault et la harpiste Elodie Reibaud forment un ensemble dénommé Les Connivences Sonores et s'investissent particulièrement dans le répertoire rarement joué. Leur premier Super Audio CD, intitulé de manière presque anodine Perles musicales, est conçu comme un premier tour d'horizon du répertoire original du XXe siècle pour cette formation. Toutes les œuvres rassemblées ici évoluent dans le cadre d'une tonalité libre, souvent teintée de modalité, et donnent lieu à un programme riche en facettes, divertissant et stimulant.
Le CD débute par la Sonatine pour flûte et harpe op. 56 (1919) de Désiré-Émile Inghelbrecht (1880-1965), un ami de Debussy qui s'est surtout fait connaître comme chef d'orchestre de musique française; toute une série de ses enregistrements sont aujourd'hui encore aisément disponibles sur CD. Ses compositions reflètent clairement ses préférences et ses priorités en tant que chef d'orchestre : de la musique dans le sillage du romantisme tardif français et tout particulièrement de l'impressionnisme, dont le charme ne réside pas dans un parti pris exclusivement personnel, mais plutôt dans la référence habile et arrangée à des traditions déjà existantes. Sa Sonatine en trois mouvements est une œuvre en mi mineur légèrement mélancolique, mais globalement plutôt lumineuse. La Sicilienne en deuxième position fait (aussi) un peu penser à Gabriel Fauré, mais dans l'ensemble, Debussy est certainement l'influence dominante, notamment dans le finale qui évoque assez directement les Fêtes des Trois Nocturnes. Une œuvre charmante et attrayante, facile à écouter.
Si la Sonatine d'Inghelbrecht est l'œuvre la plus ancienne de celles enregistrées ici, la Sonate pour flûte et harpe op. 56 de l'Américain Lowell Liebermann (* 1961) est la plus récente. Composée en 1996, cette pièce jouit manifestement d'une grande popularité : le site internet du compositeur mentionne plusieurs autres autres enregistrements. Il s'agit en effet d'une œuvre attrayante et gratifiante, qui met notamment l'accent sur le drame. D'une durée d'un peu moins d'un quart d'heure et conçue en un seul mouvement, la musique décrit un arc qui part d'un début lent (Grave), tendu et plein d'intuition. Au-dessus du battement lent de la harpe (en si), des arcs mélodiques lyriques et expressifs se déploient à la flûte, varient, se développent et s'intensifient pour finalement déboucher sur une partie centrale rapide, marquée par le triolet, qui fait notamment référence à Chostakovitch (sous la forme du motif ré-ré-c-h). A la fin, la musique du début revient sous une forme légèrement différente et la sonate se termine dans l'atmosphère de calme tendu dans laquelle elle a commencé. Il s'agit d'une œuvre intéressante, qui convainc notamment par ses entrelacs thématiques denses. On remarque par exemple le début, où beaucoup de choses sont faites de manière plus intentionnelle qu'il n'y paraît : au-dessus du si de la harpe, la flûte commence par les notes do - ré - ré dièse (ou mi bémol); ce qui est d'abord ici le début d'une gamme à l'allure orientale correspond plus tard, dans une autre disposition, précisément à la séquence de notes ré - ré - do - si. Les triolets qui ornent les lignes mélodiques de la flûte au début forment la base rythmique de la partie centrale.
Vient ensuite l'Arabesque n° 2 (1973) du compositeur israélien Ami Maayani (1936-2019), qui fait partie d'un cycle de six arabesques pour différents instruments, écrites entre 1961 et 2010. Maayani s'est souvent inspiré du folklore hébreu et du Moyen-Orient. Son Arabesque n° 2 est ainsi basée sur un maqam arabe, c'est-à-dire un mode (la forme du mugham, muğam, maqam, maqom, etc. joue en général un rôle important dans la musique de nombreux compositeurs du Moyen-Orient, d'Azerbaïdjan et d'Asie centrale, on pense par exemple aux trois Muğamen symphoniques de Fikrət Əmirov ou à la magnifique symphonie archaïque des Maqoms du Tadjik Sijodullo Shahidi / Ziyodullo Shakhidi). L'Arabesque de Maayani commence de manière rhapsodique, comme improvisée. La partie de harpe, somptueuse et richement ornementée, révèle l'intérêt particulier de Maayani pour cet instrument, auquel il a consacré plusieurs compositions. Dans la partie centrale, les contours rythmiques s'affirment et la musique gagne en détermination, avant que la fin ne soit à nouveau plus ouverte. Une musique puissante et colorée.
Ned Rorem (né en 1923) peut désormais être considéré comme le doyen des compositeurs américains actuels. S'il s'est particulièrement distingué en tant que compositeur de mélodies, sa musique instrumentale possède elle aussi généralement des qualités vocales. Dans son Book of Hours (1975), il reproduit en huit courts mouvements les prières des heures canoniques. Le cadre est constitué par Matins et Compline, deux mouvements sobres, se référant l'un à l'autre, dans une tonalité feutrée, qui imitent entre autres des coups de cloche (dans la harpe), mais aussi des pauses très suggestives dans la lecture. Entre les deux se déroule une riche palette d'ambiances et de situations musicales. Le quatrième et plus long mouvement, Terce, par exemple, se compose de deux grandes sections, chacune réservée à l'un des deux instruments, et lorsque la harpe commence son solo, c'est avec une emphase quasi romantique, un véritable contrepoint au recueillement tranquille des mouvements d'angle. D'autres mouvements, comme le scherzo de Laud en deuxième position, sont conçus de manière concertante (également dans le sens d'une compétition ludique). Rorem se révèle en général un illustrateur musical formidable et inventif (voir par exemple ses propres remarques sur cette œuvre dans la notice).
Le CD se termine par les Trois fragments (1953) du grand compositeur polonais Witold Lutosławski (1913-1994), de très courtes œuvres de circonstance pour la radio, très joliment réalisées. L'irisation, l'oscillation entre le majeur et le mineur dans la Magia introductive sont très belles, et le Presto final en ré majeur constitue une conclusion efficace de ce CD. Les deux musiciennes soulignent à juste titre dans la notice que Lutosławski n'est pas si éloigné de l'impressionnisme français dans ces pièces. La boucle est bouclée de ce point de vue par rapport au début du CD.
Les interprétations d’Odile Renault et d’Elodie Reibaud séduisent par une combinaison réussie de tempérament et de subtilité. Les caractéristiques des œuvres rassemblées ici sont parfaitement rendues, de nombreux détails sont soigneusement mis en évidence. Le duo est notamment très bien coordonné, ce qui permet de mettre en valeur les structures de dialogue inhérentes aux œuvres. La remarquable variabilité des deux musiciennes s'illustre parfaitement dans Book of Hours de N.Rorem, oeuvre aux facettes multiples : Odile Renault et Elodie Reibaud réalisent aussi bien les impressionnants "lever de soleil" et "scherzo" de Lauds (n° 2) que l'intimité et le léger souffle de vent de Prime (n° 3). L'enregistrement de la Sonate de Liebermann témoigne également de leurs capacités à tenir des formes plus larges, à créer et à maintenir la tension. Le son du CD est excellent, la notice informative. Une très belle publication.
Interview avec le magazine Orchestergraben - Stefan Pieper - septembre 2022
Avec ce premier CD intitulé "Musikalische Perlen", enregistré par le label ARS , la flûtiste Odile Renault et la harpiste Élodie Reibaud montrent toute la palette expressive de leurs deux instruments. Lors de nos échanges, ces deux musiciennes françaises se sont révélées être des exploratrices assidues et curieuses de répertoires non découverts encore. Les œuvres choisies, toutes du XXe siècle, illustrent une des préoccupations artistiques de ces interprètes, à savoir mettre en valeur le fait que ces instruments peuvent faire beaucoup plus que de belles sonorités décoratives.
S.P : Parlez-moi de l'histoire de ce projet !
Nous sommes toutes deux des musiciennes très curieuses et travaillons ensemble depuis huit ans. Musicalement, nous sommes sur la même longueur d'onde et tenons toutes les deux à découvrir de nouvelles oeuvres dans ce répertoire. Le répertoire pour flûte et harpe est étonnamment vaste et en même temps rarement joué en public.
S.P : Cela me réjouit de vous entendre dire cela car c'est ce que j'ai d'abord pensé lorsque j'ai fait la critique de votre CD hier, dans lequel respire une grande détermination artistique.
Nous sommes ravies que notre démarche soit comprise. Notre objectif est de continuer par la suite dans ce sens car il y a encore tant de répertoire non découvert que nous voudrions faire entendre.
S.P :Pouvez-vous décrire plus précisément votre objectif artistique ?
Nous voulons avant tout montrer que la flûte et la harpe peuvent faire beaucoup plus ensemble que de jouer de charmants petits morceaux de salon. Nous voulons faire découvrir toutes les possibilités d'expression de cette véritable formation instrumentale.
S.P : D'après vous, à quoi est dû le fait que tout le répertoire spécial pour flûte et harpe jouisse d'un tel statut d'exotisme dans la vie des concerts ?
La formation flûte et harpe est parmi les moins connues du public contrairement à celle du quatuor à cordes, par exemple. Une grande partie du répertoire, surtout les nombreuses pièces modernes depuis le XXe siècle, exige aussi beaucoup d'attention de la part de l'auditeur. Nous avons pris beaucoup de temps de travailler ces oeuvres en profondeur afin d'en faire émerger toute la cohérence. Cela n'est pas tombé du ciel. Mais le fait que nous nous soyons trouvées toutes les deux musicalement s’est toujours avéré être un élément moteur essentiel nous permettant de trouver de nouvelles pièces.
S.P : Comment procédez-vous à la recherche ?
Il n'est pas souvent facile d'accéder à des partitions rares. De nombreuses compositions dorment en effet sans avoir été publiées. L’Arabesque n°2 d'Ami Maayani sur notre CD est un exemple typique de ce travail de détective. Bien qu'il y ait de très bons magasins de musique à Paris, on y cherche en vain une telle pièce. Les premiers indices viennent des catalogues. De bons lexiques musicaux nous aident également. De même, la plupart des sites web de compositeurs sont un bon point de départ. Dans le cas de Maayani, nous l'avions même contacté personnellement. Dans l'idéal, les compositeurs envoient les partitions en format PDF. Maayani était ravi et voulait absolument entendre notre nouvel enregistrement. Malheureusement, il est décédé entre temps. Lorsque nous faisons soudain une découverte passionnante après avoir passé de longs moments à fouiller dans un magasin de musique, c'est alors un moment privilégié. Il s'agit d'ailleurs souvent de pièces uniques qui traînaient depuis longtemps comme des articles de magasin, sans jamais avoir attiré l’attention.
S.P : Je pense justement à l'époque où je passais des après-midi entiers chez les disquaires et où, à un moment donné, je ramenais quelque chose à la maison dans un état d'excitation joyeuse. Comment vous sentez-vous ?
C'est un mélange de bonheur et d'excitation. Cela se produit même parfois dès la découverte, ne serait-ce que d'un seul indice sur un nouveau titre alors que la partition n'existe pas encore. A partir de ce moment-là, la curiosité brûle.
S.P : Le déroulement des oeuvres sur le CD apparait sans suspense, comme si tous les morceaux formaient un récit musical homogène. Est-ce que c'était le but ?
Nous étions à la recherche d'une logique unificatrice dans la diversité des styles des œuvres. La conscience de cela se développe au fur et à mesure que nous travaillons sur les morceaux. L'essence générale est d'ouvrir de nombreuses fenêtres sur le 20e siècle et de réfléchir aux différentes possibilités musicales. Nous sommes très sensibles au fait que les compositeurs des œuvres choisies regardent avant tout vers l'avenir. Cette impression est spécialement renforcée par le caractère de notre formation.
S.P : Quel est l'intérêt de cette formation ? La chance de la flûte et de la harpe réside dans le fait que cette combinaison n'est guère chargée d'une quelconque tradition, comme c'est le cas pour un quatuor à cordes. Quelqu'un qui compose pour la flûte et la harpe est complètement libre de toute référence. Avec ce programme, nous souhaitons démontrer à quel point les compositeurs ont fait un usage inconditionnel de cette liberté - et créer une musique qui peut faire beaucoup plus que d'être un joli décor. Nous voulons illustrer le fait que la musique est comme la vie.
S.P : Comment êtes-vous entrés en contact avec le label ARS ?
Notre productrice connaît très bien les gérants du label. D'ailleurs, Annette Schumacher est aussi flûtiste. C'est sans doute une raison supplémentaire pour laquelle l'alchimie a été particulièrement bonne ici. Manfred Schumacher est un excellent ingénieur du son, également en ce qui concerne l'aspect humain du travail. Les trois jours d'enregistrement ont été une expérience très agréable pour nous.
S.P : De quel soutien bénéficiez-vous de la part du Bureau de Classique ?
Cela nous donne un très bon soutien organisationnel, surtout lorsqu'il s'agit de trouver des possibilités de se produire. Il faut d'abord les obtenir pour une telle formation de "niche".
S.P : Comment percevez-vous la réalité des concerts en général en France ?
C'est une grande question - cela se passe probablement comme partout ailleurs : l'attention tourne la plupart du temps autour des grands artistes connus. Les grandes maisons de disques, mais aussi de nombreux organisateurs de concerts, ont peur de prendre des risques. Pourtant, en discutant avec le public de nos concerts, nous avons constaté par expérience que la plupart des gens qui viennent nous écouter sont très curieux et en demande de découvrir ce qu'ils ne connaissent pas. Nous aimons discuter avec le public après nos concerts. Un échange vivant est très important lors d'un concert.
S.P : Encore une toute autre question : quelle est la signification de "Les Connivences Sonores", le nom que vous vous êtes donné en tant que duo ? La recherche de ce terme n'a pas vraiment abouti.
Il peut être traduit par "entente profonde" ou "entente sonore", peut-être aussi par une complicité artistique et amicale qui se fait entendre.
Magazine Klassik Heute - Norbert Florian Schuck - août 2022
La flûtiste Odile Renault et la harpiste Élodie Reibaud fondent en 2014 l’ensemble Les Connivences Sonores. Depuis, elles se consacrent entre autres, à l'exploration du répertoire pour flûte et harpe. Sous le titre Perles musicales, elles présentent aujourd'hui un album d'oeuvres originales créées au XXe siècle pour cette formation en duo. En ce qui concerne la composition du programme, les deux musiciennes ont fait preuve d'une remarquable perspicacité, les morceaux choisis formant une suite d’oeuvres riches en contrastes et en styles.
Répertoire insolite
La pièce la plus ancienne retentit d'entrée : la Sonatine en trois mouvements de Désiré-Émile Inghelbrecht, datant de 1919, reflète à chaque mesure l'attachement de son compositeur à Claude Debussy, dont Inghelbrecht, en tant que chef d'orchestre nous a laissé un enregistrement intégral des œuvres orchestrales. Cette œuvre gracieuse est suivie de la Sonate op. 56 de Lowell Liebermann, écrite en 1996. Pièce la plus dramatique de tout le programme, en un seul mouvement, elle commence lentement dans les registres graves des deux instruments, s'intensifie jusqu'à une partie centrale rapide pour se terminer par un retour varié de l'introduction. Liebermann se révèle ici un créateur magistral de musique ombrageuse et crépusculaire. Un sous-entendu nerveux et tendu domine l'ensemble de l'œuvre, dont la signature D-Es-C-H de Chostakovitch ne fait pas partie du matériel motivique par hasard.
Des sonorités exotiques
Ami Maayani, lui, était un spécialiste de la musique du Proche-Orient. Son Arabesque no 2, composée en 1973, est basée sur des modes et des rythmes de maqamat arabe, dont le compositeur tire des sonorités scintillantes et mystérieuses. La harpe peut ici montrer de quelle richesse de couleurs elle est capable. À certains endroits, on a l'impression d'entendre des cymbales. Ned Rorem, l'un des grands poètes lyriques de la musique américaine, a composé en 1975 un Livre d'Heures pour flûte et harpe. Les huit courts mouvements de ce cycle s'orientent sur les différentes parties de la liturgie des heures, des matines aux complies, et décrivent donc en même temps le déroulement de la journée. Il faut souligner ici la variété de l'interaction entre les instruments. Une partie des pièces est conçue comme un concerto, d'autres peuvent être décrites comme des dialogues instrumentaux. Il y a également de longs solos pour les deux instruments. La flûte et la harpe prononcent la prière nocturne finale au même rythme. Le programme se termine par trois miniatures de Witold Lutosławski, qui ne durent chacune qu'un peu plus d'une minute. Ces pièces, expressément nommées Fragments, ont été composées en 1953 pour deux pièces radiophoniques dont l'action se situait dans l'Antiquité grecque.
Ce voyage musical à travers le XXe siècle, extrêmement varié, reste captivant jusqu'au dernier morceau de par le jeu d’Odile Renault et d’Elodie Reibaud. Le choix du nom de l'ensemble ("Connivence Sonore" = complicité, entente musicale) semble on ne peut plus pertinent, au vu de cet enregistrement.